« Il y a plus malheureux que toi, alors cesse de te plaindre. »
Cette phrase, tout droit sortie d’une certaine « sagesse populaire », me semble à la fois vraie, et à la fois d’une incroyable violence envers celui à qui elle s’adresse.
Certes, l’entendre me permet de relativiser mes propres soucis. Et si j’en ai la capacité, alors j’y parviendrai. Il est vrai que ce qui se passe dans le Monde, ou simplement devant ma porte, peut être d’une grande violence. Mais si « par malheur » je n’ai pas les outils pour prendre de la distance sur mon propre sort, alors quelle négation ces mots peuvent-ils bien porter en eux.
Négation de mon ressenti, négation de moi : « Je n’ai pas le droit d’exprimer un mal-être. Je n’ai pas le droit de faire exister ce sentiment. Je suis aimé, considéré pour ce que j’exprime, et non pour ce que je suis. »
Voire même : « Mon ressenti doit correspondre aux attentes de mon interlocuteur, pour pouvoir faire perdurer notre relation. »
Et ces « outils cognitifs » qui permettent de prendre de la distance sur ma situation, la plupart du temps j’y accède seulement une fois que l’émotionnel s’est pleinement exprimé, et a été pleinement accueilli.
L’accueil de l’émotion est une condition sine qua non, avant toute tentative de « raisonnement » : Accompagner l’émotionnel, entièrement, dans l’instant présent, puis, dans un second temps, éventuellement ouvrir les perspectives qu’offre à voir le mental, s’il est suffisamment délesté de l’émotionnel.
Si j’accompagne un ami qui exprime une plainte, qu’arrive-t-il si je passe directement à l’étape « raisonnement » ?
Deux possibilités :
Colère, frustration, sentiment d’incompréhension, voire de trahison. Trop de pression dans la marmite, elle explose.
Ou bien la porte se ferme à double tour, l’ours rentre dans sa grotte pour panser ses plaies, et ne prendra pas le risque d’en ressortir avant que l’autre ait bien saisi son erreur, ou avant d’avoir laissé passer suffisamment de temps pour que l’émotionnel se calme.
Dans les deux cas, il n’en restera pas moins le sentiment d’incompréhension, et parfois la rancœur, si tout cela n’est pas verbalisé et métabolisé par la suite.
Dans mon cabinet de kinésiologie, je vois passer sur ma table une myriade de ressentis, un arc-en-ciel d’émotions , toutes de couleurs et d’intensité différentes, et tous parfaitement décorrélés de la nature de l’événement en lui-même.
En effet, le même événement peut paraitre mineur et vaguement agaçant à l’un , mais destructeur et source d’angoisses profondes à l’autre . Cela dépend de l’histoire de chacun, de ses blessures, de ses guérisons.
Et moi dans tout ça ? Qui suis-je pour poser une échelle de gravité sur l’événement en lui-même ? Qui suis-je pour accorder de la légitimité à ressentir de la souffrance face à tel ou tel événement qui pourrait me paraitre insignifiant ?
Que se passerait-il dans le Monde si chaque souffrance exprimée était prise en considération, accueillie avec empathie, quelles que soient les circonstances ?
La personne elle-même fera ensuite son chemin, et relativisera, ou non, ce qu’elle a vécu. C’est son histoire.
Chacun à notre échelle, adoucir un peu la rugosité du Monde.
Et finalement, c’est déjà beaucoup.
…et bien sûr, cela s’applique à soi-m’aime, pour moi-m’aime